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Nouvelle Internationale fasciste : état des lieux

Nouvelle Internationale fasciste : état des lieux

Depuis des mois, Au Poste voulait convier le sociologue Ugo Palheta, un des meilleurs connaisseurs du fascisme (l'ancien, comme le néo).

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Série
Invité(s)
Palheta Ugo
Durée
Date
11/06/24
  • Antifa
  • Antifascisme
  • Dissolution
  • Extrême-droite
  • Saison 07
  • Rassemblement national
  • Immigration
  • Front Populaire
  • Fascisme

On s'est dit qu'un bon moment pour le faire serait le surlendemain des élections européennes. On doit à Palheta notamment deux ouvrages remarqués La Nouvelle Internationale fasciste (Textuel) et La Possibilité du fascisme (La Découverte), comme l'excellent podcast Minuit dans le siècle, où il décortique les origines du fascisme et ses transformations.

Déjà en 2018, La possibilité du fascisme n'était que trop d'actualité. Ugo Palheta explique la « phase aigüe » dans laquelle la crise politique en France vient de rentrer comme un événement - le double choc du score du Rassemblement National et de la dissolution de l'Assemblée - accélérateur de ce qui se joue en continu depuis l'entrée du pays dans le néo-libéralisme à l'orée des années 1980. Dans cette configuration, il devient nécessaire pour les appareils de gauche, les mouvements syndicaux et les électeurs de réagir rapidement, ce vers quoi l'accord pour un nouveau Front Populaire semble se diriger. Et pour nous, ce matin Au Poste, de comprendre avec le sociologue de quoi est faite l'ascension de l'extrême-droite.

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La personnalisation de la figure de Jordan Bardella est souvent invoquée pour expliquer le succès de son parti, et bien qu'elle soit très loin d'être suffisante, cette explication n'est pas à écarter. Palheta note une forme de « dépolitisation » dans cette stratégie qui profite plus aux formations d'extrême-droite, dans la mesure où elle permet de faire passer au second plan un programme qui, lui, n'a rien de présentable. Le stratagème ne peut fonctionner qu'avec la complicité des médias, qui n'assurent plus l'analyse de ces programmes. Même si elle passe sous nos radars, l'édition antisémite en France est très vivace, et il existe une galaxie de livres et de publications qui s'alimentent et renouvellent l'expression des idées d'extrême-droite.

La matrice politique de l'extrême-droite

Cette « matrice politique » n'a que peu changé depuis la création du parti en 1972. C'est elle qui permet d'établir la filiation entre la formation actuelle et les courants fascistes de l'entre-deux-guerres, notablement plus violents et armés - bien qu'il y ait toujours eu une façade présentable du fascisme, ancrée dans les élites sociales (civiles, religieuses, militaires). Nous ne vivons plus l'omniprésence de la violence comme au lendemain de la Grande Guerre, et les organisations ouvrières n'étant plus ce qu'elles étaient, les fascistes d'aujourd'hui n'ont pas la nécessité de développer des « appareils paramilitaires de masse ». Dans son action, même s'il subsiste des bandes violentes, le néo-fascisme prend des formes beaucoup plus institutionnelles, s'intéressant plutôt aux appareils répressifs de l'État - en témoigne le taux élevé de sympathisants du RN au sein de la police et de l'armée.

Le RN se distingue donc des formations fascistes des années 1920 en tant qu'il ne se donne pas la capacité de former massivement des militants, il reste une formation aux objectifs presque exclusivement éléctoralistes. Il est en cela un produit de l'arc néo-libéral de ces dernières décennies, caractérisé par une forte dépolitisation. Pour autant, les partis d'extrême-droite conservent le noyau du projet fasciste et peuvent ainsi être caractérisés de « néo-fascistes ». Ce projet repose sur l'idée que « notre nation/race/identité » est en déclin, se décompose, se délite... sous l'effet de l'invasion migratoire, des minorités, de ce qui n'appartiendrait pas « organiquement » à la nation.

L'ethno-racialisme

Face à ce prétendu déclin, les fascistes prônent la « régénération » de la communauté, selon une perception ethno-racialiste (et non juridique) de l'identité nationale. La « francité » est associée à la blanchité, ce qui permet d'y associer sans difficultés les descendants d'immigrés européens. Dans cette vision, la gauche accueillerait avec complaisance les causes de ce déclin - selon l'époque et le pays, le communisme, le socialisme, les « wokes », etc - et représente donc un danger existentiel pour les fascistes. En soutenant la lutte des classes, elle serait ce qui fracture la nation, la déchire de l'intérieur.

La volonté de faire ressurgir la nation en « mettant au pas » ce qui l'empêche d'être elle-même, en la « purifiant », est la vision commune des formations d'extrême-droite qui par ailleurs ne s'entendent pas toujours, et parfois pas du tout, sur les modes d'application de cette vision.

Car les différences dans l'esthétique et les discours ne doivent pas nous faire croire que le parti de Marine Le Pen aurait « changé », se serait « adouci » et se différencierait tant de Reconquête, par exemple. Et l'on ne le croirait sûrement pas si il n'y avait pas eu un intense travail médiatique dans ce sens, sur le temps long ; et ce dès 1984, année de la première invitation de Jean-Marie Le Pen à la télévision. Un des ressorts constants dans le traitement médiatique du Front National puis du Rassemblement National réside dans le renvoi à des critiques d'abord adressées à la gauche, comme avec le terme de « populisme », autant une manière de mettre « les extrêmes » dans un même sac que d'éviter le terrain du fascisme et des idées réellement prônées. Les analyses politiques démontrent pourtant que la porosité entre les deux bords du spectre électoral n'existe que, très à la marge.

Sans plus l'exprimer en ces termes, la lecture fasciste de la société récupère directement la structure de la tradition antisémite héritée du XIX siècle, qui oppose les élites juives mondialisées aux peuples enracinés.

S'il est nécessaire de rappeler les racines antisémites du RN, ce n'est pas suffisant : par leurs prises de positions, les cadres actuels du RN embrassent clairement cet héritage. La mue dans le discours de l'antisémitisme vers l'islamophobie - beaucoup plus banalisée dans l'espace médiatique - est assumée comme étant un opportunisme stratégique, qui n'abandonne aucunement les grilles de lecture précédentes. Le parti, qui compte parmi ses fondateurs des anciens de l'OAS, contient déjà les germes de cette islamophobie. Le RN bénéficie aussi, selon le sociologue, d'une « rente idéologique » concernant la xénophobie, faisant qu'ils n'ont plus besoin d'insister autant sur ces points de discours, se faisant plus facilement passer pour « présentables ».

L'extrême-droite dans le monde néo-libéral

L'ascension de l'extrême-droite, en Europe et dans le monde occidental depuis les années 1980, suit comme son ombre l'avènement du néo-libéralisme dans ces pays. Ugo Palheta explique ce que ce système économique et social contient comme germe pour le fascisme :

En parallèle, les questions d'immigration et d'insécurité, puis de l'islam, sont « politisées de manière intensive ». La figure de l'immigré extra-européen est instituée en ennemie, dans un contexte social d'inquiétude globale.

La population française, majoritairement attachée à ses acquis sociaux d'après-guerre, ses services publics et sa Sécurité Sociale, ne se convertira jamais entièrement au néo-libéralisme. Traditionnellement rompue aux mouvements de masse comme expression politique, elle réagit. Plus de deux millions de personnes descendent dans la rue à l'hiver 1995 contre le « plan Juppé » de réforme des retraites et de la Sécurité Sociale, qui finira par être retiré. Depuis lors, à de très rares exceptions comme avec le CPE en 2006, la rue n'est plus considérée par les gouvernements comme un lieu d'expression légitime et les mots d'ordre qui en émanent ne sont plus écoutés, comme en témoigne le maintien de la réforme des retraites de 2023. Les ministres de l'Intérieur successifs se tiennent derrière leur police. Le capitalisme est en crise et l'État s'y adapte par un raidissement autoritaire.

Les travaux du sociologue Félicien Faury montrent que l'extrême-droite recueille la part du corps électoral la plus fataliste quand aux possibilités de changer la société, la moins encline à s'emparer des outils de lutte que sont le syndicalisme, la grève, et ainsi de suite ; fatalité alimentée par les politiques autoritaires et répressives de plus en plus violentes. À celles et ceux qui n'ont pas l'espoir de changer le rapport de force entre les classes dominantes et les classes dominées, elle propose de se tourner vers les figures-repoussoirs martelées médiatiquement, de réclamer pour elles et eux-mêmes ce que l'État leur donnerait indûment. C'est ainsi que le mythe de la préférence étrangère pour l'accès aux prestations sociales, et équivalents, s'enracine.

En pratiquant l'autoritarisme, les gouvernements récents favorisent la réception par la population d'un authentique gouvernement d'extrême-droite, à mesure que les affects autoritaires et liberticides qu'il prône sont tristement banalisés. La classe dominante n'a aucun mal à réprimer la population, mais ne parvient plus à asseoir sa domination, la faire consentir aux masses. Nous avons dit que les partis traditionnels ne parviennent plus à jouer ce rôle-là. Et c'est ici que l'extrême-droite, pour peu qu'elle donne des gages au patronat quant au maintien des conditions de l'exploitation économique, peut se voir attribuer le rôle. Selon Ugo Palheta, c'est exactement ce à quoi nous assistons quand le Rassemblement National révise ses positions sur l'UE, abandonne la sortie de l'euro, maintient « une position orthodoxe au sujet de la dette publique », et se met à assumer un programme économique tout à fait libéral. Les médias traditionnels auparavant hostiles se convertissent à leur tour aux thèses d'extrême-droite, travaillent à les rendre audibles et présentables, pavant la voie à leur accession au pouvoir.

Dans ce contexte politique plus que chargé, Ugo Palheta appelle la gauche à ne céder ni au désespoir, ni à la tentation de se ranger derrière les vents dominants du moment.

Trois questions clés

Qui est Ugo Palheta ?

Ugo Palheta est un sociologue spécialiste du fascisme contemporain.  Il est maître de conférences à l'Université de Lille et co-dirige la publication de la revue Contretemps.

Quel est le dernier ouvrage d'Ugo Paletha ?

Le dernier ouvrage du sociologue Ugo Paletha s'intitule « La Nouvelle Internationale fasciste » (Textuel) et est paru en 2022.

Quelle thèse défend Ugo Palheta ?

Ugo Palheta a écrit plusieurs ouvrages mettant en parallèle la montée de l'extrême-droite avec le virage autoritaire des gouvernements néo-libéraux dans le monde occidental. Il explique en quoi le néo-libéralisme favorise la montée d'un électorat d'extrême-droite, et en quoi cette dernière peut se rendre utile à la classe dominante.

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