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« Je ne demande pas la pitié. Je demande le droit d’exister »: À Mayotte, l’extrême droite met des vies en sursis

« Je ne demande pas la pitié. Je demande le droit d’exister »: À Mayotte, l’extrême droite met des vies en sursis

Au sein d'une société mahoraise fracturée, des blocages organisés par des collectifs nationalistes, proches du RN contestent les droits des étrangers. Réduits au silence, plusieurs comoriens ont fait le choix de briser l’omerta. Enquête.

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Série
Enquêtes & Reportages
Durée
Date
31/05/25
  • Mayotte
  • Pauvreté
  • Rassemblement national
  • Immigration

« On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire. » En décembre dernier, durant un déplacement dans le 101ᵉ département français encore meurtri par le passage du cyclone Chido, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a brandi sa rhétorique sécuritaire habituelle plutôt que d’exprimer sa solidarité avec les populations sinistrées. Sur une île plus précaire que jamais où tout reste encore à reconstruire (77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté), les discours xénophobes gangrènent la société. En réponse à la précarité lancinante des Mahorais, l'Etat français adopte en effet un calendrier réactionnaire, à grands coups d’opérations Wambushu ou Mayotte Place Nette.

Conséquences : le climat se durcit et le corps social se fracture, entraînant l’apparition de groupes nationalistes tels que le « Collectif citoyen 2018 », proche du parti de Marine Le Pen. À l’origine de plusieurs blocages, dont le plus important demeure celui de la préfecture, ils pénalisent les plus précaires et bloquent les demandes de titres de séjour de lycéens et travailleurs réfugiés.

Un collectif d’extrême droite proche du Rassemblement National

Apparu en septembre 2017 dans le contexte des mobilisations contre l’accord franco-comorien, le Collectif Citoyen 2018 regroupe des militant·e·s d’extrême droite mahorais. Sur le terrain, ces collectifs, faits de citoyens et d’élus locaux, reprennent à l’unisson une rhétorique  anti-migrants, calquée sur celle du Rassemblement national. Ils mènent depuis plusieurs années une véritable offensive contre les populations migrantes, avec l’appui des autorités locales : manifestations contre les régularisations, blocage de l’hôpital, soutien actif à l’opération Wuambushu…

Bien qu’ils refusent d’être affiliés au Rassemblement national, la frontière entre le Collectif Citoyen 2018 et le parti frontiste semble bien poreuse. En décembre 2021, l’ancienne présidente du RN a par exemple été chaleureusement reçu à Mayotte par plusieurs membres du collectif. Ils étaient son seul comité d’accueil.

« Lors de son déplacement, Marine Le Pen a été reçue comme une reine. C’est-à-dire qu’on l’a vraiment prise en charge, avec un accueil très chaleureux. C’est le Collectif Citoyen 2018 qui a organisé l’événement », affirme un jeune lycéen mahorais résidant à Mamoudzou.

Durant ce déplacement, Marine Le Pen s’est rendue devant les bureaux de la Cimade — une organisation qui aide les étrangers à faire valoir leurs droits —, alors même que ceux-ci étaient bloqués par des activistes du collectif citoyens 2018. Ces derniers accusaient alors la Cimade de donner « le pouvoir à la clandestinité ». Sur plusieurs vidéos, on peut voir la députée acquiescer ostensiblement aux propos des militants, avant de promettre de continuer à les soutenir : « Je défendrai votre combat ici, à l’Assemblée nationale, et demain, je l’espère, à la tête de l’État. »

Préfecture bloquée, droits suspendus

En octobre 2024, le collectif Citoyen 2018 a une nouvelle fois bloqué la préfecture de Mamoudzou, suite à l’agression d’une mère de famille dans sa voiture. Ses méthodes: organiser un sit-in devant l’institution, installant des campements de fortune pour dénoncer une immigration qualifiée de « dangereuse et violente », présentée comme la source de tous les maux. « Ils voulaient protester contre l’immigration clandestine, exiger plus de moyens pour renforcer les frontières, et mettre fin au titre de séjour territorialisé », témoigne un habitant de la capitale.

Ce blocage, plus qu’une action symbolique, a entraîné une paralysie quasi-totale des services administratifs sur l’archipel. Un coup de force aux conséquences lourdes. « Sans titre de séjour, impossible de travailler ou de suivre une formation — et ici, c’est indispensable pour s’en sortir. Les blocages ont provoqué des licenciements, empêché des jeunes de poursuivre leur scolarité, et plongé des familles entières dans la précarité. Quand les parents ne peuvent plus travailler, ils ne peuvent plus nourrir leurs enfants », explique un comorien.

Bloquer, c’est restreindre l’accès à des services publics essentiels, c’est priver plusieurs milliers de personnes de leurs droits fondamentaux, sans considération pour les répercussions concrètes sur leurs vies. Alertée sur la situation de certains étudiants mahorais, une membre du Mouvement National Lycéen (MNL) précise : « Pour rejoindre l’enseignement supérieur, pour faire une demande de bourse, il faut un titre de séjour valide. Résultat : certains étudiants de l’année dernière sont encore bloqués, et ce sera sûrement la même chose cette année. »

Derrière les discours et les actions du collectif, ce sont donc des droits qui sont suspendus. En bloquant la préfecture de Mamoudzou, Citoyen 2018 impose un bras de fer à l’État, avec pour objectif la reconnaissance de revendications ouvertement xénophobes — au détriment de la vie de centaines de mahorais·es.

« Vous n’avez pas de droits »

Selon un reportage de Street Press, le collectif Citoyen 2018 exercerait également une violence physique et psychologique sur les étrangers*. « Une maman d’origine comorienne a été harcelée et humiliée par le collectif », affirme un syndicaliste lycéen.

Pour le collectif Citoyen 2018, l’immigration irrégulière serait la cause de tous les maux, destinée à transformer, selon son ancienne porte-parole Sylviane Amavie, « Mayotte en enfer ». La question du droit des étrangers n’en est en réalité pas une pour le collectif. Sur la vidéo ci-dessous, on entend une de ses membres critiquer ce même droit.

« Ça fait peur. Ils veulent qu’on arrête d’appliquer le droit français », continue le jeune syndiqué.

« C’est toujours la faute des étrangers. Mais personne ne voit que ce sont eux qui font tourner la machine »

« À Mayotte, il y a de la haine et de la jalousie. Certains Mahorais disent que les étrangers prennent leurs places. Mais ce n’est pas vrai. » continue le lycéen.  Dans l’archipel, les étrangers sont réduits au substantif de « voleurs d’emploi ».

Pour un habitant de la capitale, cela n’a pas de sens: « Les étrangers, ici, ce sont des travailleurs. Ils travaillent dans les champs, dans le bâtiment, dans la restauration. C’est toujours la faute des étrangers. Mais personne ne voit que ce sont eux qui font tourner la machine ».

Très présents dans le secteur primaire, dans les services d’aide à la personne, les travailleurs étrangers occupent, comme en métropole, les emplois les plus précaires et effectuent les tâches les plus décriées. Selon une étude de l’INSEE réalisée en 2015, 75 % des chefs d’entreprises informelles étaient nés à l’étranger, principalement aux Comores. Ces structures, bien que précaires, jouent un rôle important dans l’économie locale.

Problème pour les étudiants étrangers: les blocages successifs de collectifs d’extrême droite restreignent les procédures et impactent durablement la vie de ces jeunes , nés « sans droits ».

« Des filles deviennent « femmes de joie », les garçons sont traités de voyous, non pas parce qu’ils l’ont choisi, mais parce qu’ils n’ont pas eu d’autre voie. Après le bac, sans papiers, impossible de travailler, impossible de poursuivre ses études. Certains finissent alors par tomber dans la rue, dans la survie », déplore une étudiante comorienne.

Suspension du blocage

Le 18 mai, le Collectif citoyens 2018 a annoncé, dans un communiqué, la suspension du blocage de la préfecture de Mamoudzou. Présentée comme un geste d’apaisement, cette décision fait suite aux accusations du ministre des Outre-mer, Manuel Valls, qui reprochait au Collectif de freiner l’exécution des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) et de nuire à l’économie locale.

Censée rassurer, cette décision laisse étrangers et militants sceptiques : « Étant donné que ce n’est pas un déblocage définitif, ça peut reprendre à tout moment », s’inquiète le MNL. Craignant de nouvelles actions, plus dures encore que les précédentes, plusieurs personnes tirent la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, étrangers, réfugiés et régularisés demandent à être entendus.

*Malgré nos sollicitations, le collectif citoyen 2018 n’a pas daigné nous répondre.

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